Au 19ème siècle, l’« estaminet » est le lieu de rassemblement privilégié des ouvriers. Le midi, on y apporte sa gamelle :
« On avait là une assiette de soupe et on mangeait la viande et le pain qu’on avait apportés. C’était toujours du lard cuit dans la soupe du dimanche pour toute la semaine. »
Témoignage d’une ouvrière du textile d’Hazebrouck en 1898.Le soir, on s’y rassemble pour boire un verre et discuter des nouvelles. Le dimanche, on s’y détend en famille autour de fléchettes, de jeux de cartes et de jeux traditionnels flamands. Un nombre important d’associations de loisirs choisissent l’estaminet comme lieu de réunion et siège de leur activité. Si bien que l’estaminet apparait comme un lieu de sociabilité incontournable, un deuxième « chez soi », à une époque où les logements sont exigus et la plupart du temps insalubres. La rue de Menin à Tourcoing compte ainsi 22 estaminets en 1898.
L’estaminet, tel qu’on le connait aujourd’hui dans les Flandres, présente-t-il une continuité historique avec ce lieu de restauration et de retrouvailles du 19ème siècle ? Il fait aujourd’hui partie de la catégorie des établissements « traditionnels », appréciés pour leur convivialité familiale et leur cuisine typique. La carte (carbonnade flamande, potjevleesch et welsh) comme le mobilier (tables en bois vernis et vaisselle rustique) fonctionnent comme des signaux de reconnaissance et renvoient à l’imaginaire que l’on se fait du territoire.
Des lieux d’échange et d’activités militantes
Lieu de rencontre, l’estaminet est un espace d’échange d’idées politiques et militantes au 19ème siècle. Certains chansonniers d’obédience socialiste, comme Victor Capart (1839-1908) à Tourcoing, tiennent des estaminets qui sont surveillés par la police, considérés comme de dangereux foyers de propagande. Si tous les propriétaires d’estaminets ne sont pas socialistes, il existe néanmoins une empathie naturelle entre ces derniers et les ouvriers, notamment en temps de grève.
La bourgeoisie industrielle se montre méfiante devant ces lieux où se retrouve une communauté ouvrière qui « vit comme elle l’entend, en dehors des contraintes du travail ». Dans un roman de Maxence Van der Meersch, la description du café, point de ralliement des ouvriers grévistes, à l’atmosphère lourde et triste, témoigne de cette inquiétude :
« C’était une étroite et longue salle triste […] au papier peint décoloré, au plafond fumeux, aux tables de bois brun graisseuses. On se groupa tout de suite autour du poêle de faïence, qui ronflait. On commanda des chopes et des genièvres. On ralluma cigarettes et pipes. Une lourde fumée montait dans l’atmosphère malsaine, jusqu’aux deux lyres à gaz d’où tombait une sale clarté jaune »
Les sirènes se taisent, 1933.Aujourd’hui, le nombre de ces cafés a beaucoup diminué mais ils continuent à animer la vie de quartiers. L’un de ces cafés, situé sur la zone de l’Union entre Roubaix et Tourcoing, où l’on comptait jusqu’à 25 bistrots quand les usines étaient en activité, a été un lieu de ralliement pour les anciens ouvriers de La Tossée :
« Il y a un café ici qui s’appelle Chez Salah. Quand on faisait grève […] parfois on occupait l’usine H24 pendant 15 jours et bien on allait se restaurer chez lui, il y avait tout ce qu’on voulait. Les gens qui n’avaient pas de quoi payer et bien parfois il disait ‘C’est pas grave, tu me paieras le mois prochain’».
Bouzid, 57 ans, ancien ouvrier de La Tossée, usine textile de Tourcoing.